vendredi 16 août 2013

Mohr à Venise

L’homme à l’entrée de l’exposition ‘’Dessins et gravures de Rembrandt'' était grand et costaud.
Je lui présentai ma carte d’artiste. Il n’avait rien contre la gratuité d’entrée que cette carte procurait à son titulaire. Mais un titulaire plus grand et plus costaud que lui-même, réveillait quelques soupçons. Pas de mèche pour être écrivain, les cheveux pas assez longs et décoiffés pour un éventuel musicien, pas de barbe de peintre. Une moustache seule ? Peut-être mais pas une collée sur un visage souriant entre deux épaules larges à une hauteur d’un mètre quatre vingt quinze. Il n’aime pas. Il ne dit rien. Je prends ma carte, passe à côté de lui :
- Merci, merci jeune homme.
Moins grand et moins costaud mais plus âgé, il n’a pas aimé merci jeune homme, non plus.  Je sentis son regard dans mon dos.  Mon portable se mit à sonner. Rondo Veneziano !
- C’est interdit ! Vous devez sortir pour téléphoner !
Mon sourire s’élargit en sortant. Histoire de lui dire que l'exercice de son pouvoir de gardien ne me gênait pas.  Une fois dehors je répondis.
- Allo, oui ?
- Pronto, pronto ! Aspeta un momentito …
Une voix essayait de se faire entendre à travers des fritures, à travers des bruits d’une rue, parasitée par mille étincelles sonores, oscillant de crescendo jusqu’à se perdre presque totalement. Finalement, le son s’éclaircit sur une ambiance vive d’une ville.  Les pas, les voix des passants et soudain, les cloches d’une église. La voix devint claire.
- T’entends les cloches ? Les cloches de St Marc ? C’est génial ! Non ?
- Ah, oui, c’est phénoménal. Mais quelles cloches ? Quel St. Marc ?
- St. Marc sur la place du même nom et où veux-tu que ça soit sinon à Venise ?
- Bien sûr, suis-je bête, mais je ne vous savais pas là-bas et puis qui êtes-vous ?
- Écoute, bien, écoute maintenant !
Les cloches sonnaient. Je les entendais clairement. J’imagine que la femme a dû tendre son bras avec son téléphone portable vers le campanile au-dessus de la place St. Marc à Venise. J’avoue, j’étais impressionné.
- J’entends très bien, c’est superbe, mais avec qui je parle, qui êtes-vous.
- T’as entendu ? Je coupe, je t’appelle plus tard encore, faut que je recharge mon portable.
Je remis le mien dans la poche de ma chemise. Mon copain, à l’entrée, prit une position centrale dans l’entrée. Il me barrait la route.
- Vous n’allez tout de même pas me réclamer ma carte encore ? Je viens d’entrer et de sortir pour téléphoner.
- Je me souviens très bien de vous, de votre carte et de sa validité.
- Sa validité ?
- Absolument ? Sa validité ! Elle vous donne le droit d’une visite pour une personne pour toutes les expositions de l’année courante. Une visite, une ! Que vous venez d’effectuer, justement. Une visite brève, il est vrai, mais c’était votre choix.
- Ce n’est pas vrai. Vous n’allez pas me compter ces quelques instants à peine comme une visite ?
- Si. Ce fut une visite. Le choix vous a appartenu : visiter ou téléphoner.
Je me dirigeai vers lui décidé de le pousser à côté au prix d'un nez cassé, s’il fallait. Le sien de préférence.

Il fléchit un peu ses genoux, prit la position d’un taureau décidé de déchiqueter en morceaux le torchon rouge que je représentais pour lui désormais, même si ce torchon lui était supérieur d’une vingtaine de kilos. La situation sentait la poudre.
- Monsieur est avec moi. Bonsoir.
Une jeune femme, grande, brune, belle en robe blanche tenait une invitation dans la main et la proposa au taureau. Il la prit, l’examina attentivement et ne pouvant pas cacher sa déception murmura :
- Invitation pour deux personnes. Il hésita, un peu, puis il s’écarta.
- Venez, me dit la femme.
- Merci, merci … jeune homme. Mon sourire effleura le visage sombre du taureau déçu.
- Merci à vous, m’adressai-je à la dame en blanc, marchant à côté d’elle.

Nous entrions dans la première salle de l’exposition et elle baissa sa voix.
- Je vous en prie. Je n’ai rien contre que les mâles s’affrontent mais pour les choses plus nobles.
- Renverser une dictature …pour une femme ?
- Par exemple, accepta-elle avec un sourire. Vous êtes Italien ? Excusez-moi, mais j’étais derrière vous pendant que vous parliez au téléphone et sans le vouloir j’ai entendu votre italien de côté de Rome, je dirais.
- Mais, je ne parle pas l’italien. Il est vrai que la personne à l’autre bout du fils se trouvait en Italie, à Venise, mais nous parlions en français.
- Italien, italien, accent romain, mais bon, c’est votre vie privée.
De nouveau mon téléphone, mis en vibreur s’agita m’annonçant un appel.  Je le pris et répondis, tout bas.
- Oui …
- Ciao, passe-moi Saskia.
- Qui ?
- Saskia, la fille à côté de toi, la fille en blanc.  Avec le chapeau.
- Elle n’a pas de chapeau.
- Faut lui en acheter un. Pense-y ! Passe- la moi, maintenant, s’il te plaît.
Je voulus rire, demander qui il était ou simplement raccrocher, peut- être.  Mais non,  je tendis ma main avec le téléphone à la fille.
- C’est pour vous.
La fille prit le téléphone sans se montrer surprise. Son visage tourné vers moi était, en partie caché par l'ombre de son chapeau. Non, non, c'est vrai, elle n'avait pas de chapeau mais je l’imaginais avec un.  Elle était belle. Je l'entendus  parler. Je ne compris rien sauf qu’elle parlait hollandais. Elle me rendit le portable.
- Vous avez un bonjour de la part de van Koops.
- Mais je ne sais pas qui est van Koops. Comme l’italien je ne parle pas hollandais, non plus, alors je n’ai rien compris.
-  Si vous n’avez rien compris c’est parce que vous étiez absent, et non à cause d’un hollandais que nous ne parlions, d'ailleurs, pas mais le français. Regardez Alex !  Calmez-vous. Van Koops m’a dit, bonjour à Alex Mohre. Regardez Alex !
 Elle me montra le dessin dans la vitrine, devant nous. Je le connaissais. Un dessin de Rembrandt, un paysage hollandais avec un couple d’amants cachés, dissimulé dans les lignes et les ombres sous un énorme chêne.
- Il nous faudra faire comme eux. Se cacher pour téléphoner à cause de votre jeune homme sévère à l’entrée, dit-elle voix de complice.
- Ne vous faites pas de souci. Je connais un petit restaurant italien, sympa et près d’ici, alors pour nous cacher, on pourrait ...
- Dommage.
- …
- Dommage parce que ceci était possible :
- Ne vous faites pas de soucis. Nous pourrons téléphoner en riant à haute voix, danser et chanter en regardant les gondoles qui passent en attendant les douze coups de minuit de St.Marc avant d’aller rejoindre notre chambre chez Danieli.   Mon portable vibra encore,
- Allo, oui !
Trop fort. J'ai répondu trop fort. J'ai encore eu le temps d'entendre les cloches de St. Marc. Deux fois! Avant le troisième coup, le taureau me l'arracha.
- Vous ne respectez rien ! Je vous le rendrai votre portable à la sortie.

A la sortie le gardien me rendit mon téléphone.
– Sans rancune ? Je ne fais que mon travail.
- Au revoir, lui dis-je, comment vous appelez-vous ?
- Aldo.
- Au revoir Aldo.
A peine dans ma main le téléphone vibra. J'ai écouté le message et j'ai raccroché.
- Saskia. Une réservation a été effectuée pour nous. Ce n’est pas Danieli mais c’est un hôtel non loin du Rialto.
- C’est plus sage, dit la fille, c’est moins cher.

Notre séjour à Venise dura une semaine, ce fut la semaine la plus folle de toutes les semaines de cette année, de toutes les semaines de toutes mes années. Ce fut la semaine la plus longue de l'histoire de Venise.
C'était la semaine qui bouleversa le calendrier. Elle comptait plus de nuits que de jours et les jours redoublaient leurs passages. Chaque matin un nouveau chapeau pour Saskia l'attendait sur la table à côte de sa tasse à café.

  En quittant notre hôtel pour prendre le vaporetto mon portable sonna. Rondo Veneziano.
- Oui, allo . Merci ...
Le vaporetto démarra. Je tenais le portable au-dessus de ma tête.
- Saskia, dis-je, c’est Aldo. Il nous transmet un bonjour de la part de Van Koops et il nous souhaite un bon retour. Je lui fais entendre les cloches.
Elle sourit. Son regard suivit mon bras levé.
Ding .... ding ....

mercredi 14 août 2013

Il est cinq heures ( Avec Dieu, ce qu'il y a de terrible, c'est qu'on ne sait jamais si ce n'est pas un coup du diable.)



Au moment où, je l'ai vu, je n'étais pas certain de le voir.  Ah ce doute ! J'étais, encore moins certain , que c'était Lui. Tôt le matin, on ne voit pas bien. Il est cinq heures. La vie s'éveille.
Je marchais en essayant de voir, si je le voyais.  J'accélérai mes pas. Mais j'étais, toujours, trop loin et il faisait, toujours trop sombre. Ah ce doute! Est-t-il Lui ?
Et la lumière fut. Et je l'ai vu. C'était Lui. Heureusement que la lumière fut. J'étais content de ce fait, même si c'était, peut-être,  un pléonasme. Peu importe, mais il importe que je l'ai vu.
C'était bien Lui.
Il était au coin de la rue devant  ‘'Au bon coin ‘'.
Il se retourna vers moi et  vers ceux derrière moi et puis, il disparut ! Disparut de nos vues, de la vue de ceux qui me suivaient et de la mienne. C'est seulement comme ça qu'Il pouvait disparaître. Vu qu'il est éternel.  Sous condition qu'il existe.
Je me retourne, moi aussi, pour voir ceux qui me suivent , mais je n'ai vu personne. Il n'y avait personne derrière moi.
Devant moi, oui, oh oui, il y avait l'espoir de le voir et il y avait  vingt pas à faire jusqu'au  café : ‘'Au bon coin''.
Dès que j'ai franchi la porte du bistrot, je l'ai vu. Il était le seul client au comptoir. Il était le seul client tout court. Mais ce n'était pas Lui.   - Bonjour !  Un café !  puis, après une petite pause de politesse, je dis, l'avez-vous vu ?                                       
 Ma question s'adressait en même temps au bistrot et au seul client. Le seul avant mon arrivée. Rien. Ils se taisaient, tous les deux. Indépendamment, mais dans un silence commun.
-   Bon Dieu ! Dites-moi, simplement, si vous l'avez vu. Ce n'est pas compliqué. Bon dieu, l'avez-vous vu ?
-   Mais qui, finalement ? L'avons-nous vu qui, bon dieu ?
-   Oui, Bon dieu !



-   Ma foi, vous avez la foi, vous.  Mais non, nous ne l'avons pas vu .  Il paraît qu'il n'existe pas, alors le voir ... ici, dans le quartier, pas évident, pas vraie Belzy ?
Le bistrot riait de bon cœur. Belzy partageait son opinion ! Il y rajoutait la sienne, plutôt, et souriait ironiquement sous son chapeau noir de peintre de plein air. Il avait un étrange éclat dans ses yeux.
-   Il s'agit de la foi, seulement, parce que j'y travaille . Je veux, justement lui poser la question, s'il existait ou pas. A lui-même. Une question à la source. Comme je l'ai vu entrer ici,  je ne comprends pas comment ... tiens le voilà, il traverse la rue.
-   Cours-lui après, dit Belzy, le café est pour moi.
Je lui adressai un merci en claquant la porte que je franchis  en courant et sans me retourner. Les gens et les ouvriers marchaient dans les deux sens le long du trottoir. Je courais le regard fixé vers le passage commercial, de l'autre côté de la rue, dans lequel Il pénétra au moment même où, la porte du ‘'Au bon coin ‘' coupa le rire de Belzy,  en se refermant dans mon dos. -  Regarde où tu marches, bon sang !    me cria un homme, tu ne peux pas regarder où, tu marches ... il avala connard, après une estimation éclair de la différence de nos poids.
-   Je ne marche pas, connard, je cours !
Son estimation m'allait.
-   Je cours Bon Dieu, bon sang.
Quelqu'un me prit le bras. Une dame me souriait. Ce sourire a du avoir un charme  de séduction redoutable, il y a  six ou sept décennies.
-   Aidez-moi à traverser la rue, jeune homme.
-   C'est que je suis très pressé, moi. D'accord, mais alors vite fait. Courez àcôte de moi.
La vielle dame ne pouvant pas courir, bien évidemment, je l'ai portée en courant  ce qui l'amusa tellement qu'elle rigola c'est comme avec Jojo. - Merci, merci jeune homme, le  Bon Dieu vous le rendra, dit-elle quand je la posai par terre.
-   Pour ça, faudra, encore, que je le rattrape, madame.
J'étais à l'entrée du passage et je crus Le voir pénétrer dans un café de l'autre bout, à la sortie du passage sur la place d'Hôtel Dieu.   Dès que je franchis la porte de  ce café, ‘'La rotonde'',  je l'ai vu et j'ai su que ce n'était pas Lui.
-   Un café, je vous prie et dites-moi, s'il vous plait, si vous avez vu Bon Dieu.
-   Bon Dieu ? Pourquoi dites-vous Bon Dieu ? On ne dit jamais Mauvais Diable. On ne dit que Diable. Que diable ! Ou bien, dit-on : le Malin, Belzébuth, Lucifer. Pourquoi nous impose-t-on cette habitude linguistique, ou bien s'agit - il d'un obstacle érigé exprès, pour rendre impossible une juste discussion sur le thème Dieu, vérité théologique ou diabolique ... m'enfin, avec Dieu, ce qu'il y a de terrible, c'est qu'on ne sait jamais si ce n'est pas un coup de l'Autre.
-Arrête Belzy, le bistrot réagit, on t'a demandé si tu l'avais vu. C'est tout.
-   Non, bien sûr que non. Le quartier connaît un chômage de 45%, deux tiers des enfants du Monde ont faim, les guerres ravagent la Terre depuis les nuits des temps, les gens vivent avec la peur au ventre devant une destruction de la planète, le garagiste du boulanger s'est tiré avec la tire et la femme de celui-là, alors la réponse est non, nous ne l'avons pas vu, votre Dieu, mais rien de personnel, Monsieur, et puis votre café est pour moi.  Il m'adressa un sourire. Son regard avait un éclat étrange sous sa casquette de baseball .
Je suis sorti, j'ai erré toute la journée. Je ne l'ai jamais revu. Dans un moment,  j'ai cru le voir parler avec un couple et entrer dans un taxi. Quand j'ai voulu leur demander s'ils savaient où, il était  parti, la fille éloigna son compagnon de moi :
-   Viens Belzy, je n'aime pas les gens qui posent des questions bizarres. Il prit la main de la fille et il me toura le dos pour l'emmener. Brièvement, je pus voir un petit éclat étrange dans son regard.
A la tombée de la nuit, je n'avais pas envie de rentrer à la maison.
Et si j'allais boire un coup avec quelqu'un ? Avec un passant que  j'arrêterai au hasard . Pourquoi pas ?
Un homme passa et je lui dis :
-Hé ! jeune homme ... ll continua sans se retourner.
-Hé ! Belzy.
I

Il se retourna.
-On boit un coup ensemble ?!
-Pourquoi pas ? Tu es Linceulot, c'est ça ?
-Oui .


Il me sourit. Il y avait, dans ses yeux, une étrange lueur.